jeudi 19 novembre 2009

Motown et le Troisième Millénaire

On le sait maintenant, les productions Motown contemporaines sont rarement de vraies réussites artistiques. Néanmoins, deux exceptions du catalogue actuel méritent d'être signalées. D'un côté, Q-Tip, de l'autre Erykah Badu.

L'ancien leader de A Tribe Called Quest, Q-Tip a sorti l'an dernier The Renaissance, un album qui relançait sa carrière solo. Son ancien groupe, au sein du collectif Native Tongues, avec leurs potes De La Soul et Jungle Brothers, avait su donner un nouvel élan au hip-hop, héritiers de la première génération, se revendiquant des valeurs de la Zulu Nation d'Afrika Bambaataa.

Q-Tip, en se faisant appeler The Abstract Rapper, a liitéralement ouvert de nouveaux horizons au hip-hop. Le rap s'est, en effet, développé en affirmant son inscription dans la réalité. En faisant le récit, la racontant avec un sens certain du story-telling. Son message est avant tout celui d'un témoignage. Keep It Real est sa devise fondatrice.

Q-Tip en revendiquant le droit à l'abstraction l'affranchit de ce type de contrainte. Le rappeur peut désormais donner libre cours à son inspiration, à sa fantaisie et trouver la porte de sortie du ghetto.

Participer à la sauvegarde d'une mémoire collective populaire fait également partie de la "mission" du hip-hop. L'utilisation de disques vinyls pour construire sa musique y a participé. L'évolution technologique et l'apparition des samplers ont continué sur cette voie.

La diva Erykah Badu a commencé en figure de proue du la Nu Soul, apparue dans les années 90, et revendiquant ses ambitions artistiques et se ré-appropriant cet héritage musical d'une richesses inouïe.
Le clip d'Erykah Badu, présenté ici, illustre à merveille, l'importance de garder à l'esprit ces œuvres fondatrices de la Great Black Music. Remarquable d'intelligence, cette vidéo montre des pochettes de vinyl prendre vie. Des références de bon goût, clins d'œil à la clé... Pourtant un seul album Motown dans cette collection.

Ce sont toute une série de grands disques classiques qui prennent vie à l'écran. Une manière intelligente de revendiquer ses influences. Il n'est pas anodin non plus que la scène se déroule dans une boutique de vinyles... Tous les albums cités ici sont célèbres, il n'empêche, voici la liste des références...

Rufus & Chaka Khan - Rufus featuring Chaka Khan (1975)






Diana Ross - Blue






Funkadelic - Maggot Brain (1971)






Eric B. & Rakim - Paid In Full (1987)






Ohio Players - Honey (1975)






Minnie Ripperton - Perfect Angel (1974)







Labelle - Chameleon (1976)






De La Soul - Three Feet High and Rising (1989)






The Beatles - Let It Be (1970)






Nas - Illmatic (1994)






Olivia Newton John - Physical (1981)






Grace Jones - Nightclubbing (1981)






Earth, Wind & Fire - Head to the Sky (1973)







John Lennon and Yoko Ono's January 22, 1981 Rolling Stone Cover








Q-Tip a sorti son album The Renaissance presque au moment de l'élection de Barack Obama. Dans une interview accordée à Vibrations, Q-Tip revenait sur cette actualité...










Tout au long de la phase finale des élections présidentielles, il était difficile de ne pas repenser au refrain de "Can I Kick It ?", un des trois singles figurant sur le premier album de A Tribe Called Quest en 1991. Une requête à laquelle les acolytes de Q-Tip répondaient en chœur par un fameux, “Yes, You Can” ! Volontaire ou non, le Yes, We Can de la campagne d’Obama a indéniablement participé à raviver cette période old school dans l’esprit de nombreux électeurs.

L’analogie ne s’arrête pas là puisqu’avec The Renaissance, le rapper retranscrit de manière exemplaire le vent de confiance et les espoirs qui dopent l’Amérique actuellement. Cette interview prenant place trois jours après les élections, l’occasion était trop belle pour connaître l’opinion de Q-Tip sur le rôle joué par les musiques populaires et sur les processus de redéfinitions identitaires des Afro-Américains. La voix douce et singulièrement nasillarde de Q-Tip se détache des grésillements qui parasitent notre conversation téléphonique…

Q: Quelle semaine !
Q-Tip: (Après une respiration profonde) En effet quelle semaine !…. (Nouvelle respiration profonde) Quelle semaine mon ami !

Q: Pouvez-vous revenir sur cette journée exceptionnelle du 4 novembre, date à laquelle vous avez également choisi de sortir votre second album The Renaissance.
Q-Tip: La nuit précédente j’étais tellement excité que j’ai eu beaucoup de peine à dormir. Mon album s’appelle The Renaissance, cela implique une sorte de réveil et de profonde régénération, et c’est exactement le sentiment que j’éprouvais après cette nuit agitée. Tout au long de la journée, j’ai dû faire passablement d’interviews, mais je n’ai jamais cessé de ressentir au plus profond de moi-même que quelque chose d’extraordinaire était en train de se dérouler. C’était un peu comme dans un rêve. Dans la soirée nous avons organisé une partie dans un club de New York pour la sortie de l’album. Il y avait plein de téléviseurs et nous avions installé des computers à l’étage inférieur, nous étions en communication constante avec des personnes se trouvant à des endroits différents autour du globe. Environ un millier d’invités étaient présents et lorsque les résultats sont tombés, c’était juste incroyable ! Quatre jours plus tard, je continue à être totalement transporté.

Vous vous êtes rapidement porté aux côtés d’Obama, qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Q-Tip: Honnêtement, je n’ai jamais cru une seconde qu’une telle situation allait se présenter dans ce pays. Surtout en regard des deux dernières élections et de tous les problèmes touchant aux questions de races qui jalonnent l’histoire américaine. Lorsque Obama est entré dans la course, je me suis dit qu’il pouvait y avoir une grande opportunité et grâce à Dieu, les Américains ont su dépasser les stigmatisations pour ériger ce moment extraordinaire. Je pense tout d’abord qu’il est une personne foncièrement honnête. Même s’il reste un politicien, qui doit raconter quelquefois mensonges, j’ai le profond sentiment qu’il est quelqu’un de loyal et qu’il sait prendre de la distance par rapport à cette situation et ses obligations. Il a également une exceptionnelle capacité à se focaliser sur des sujets, ainsi qu’une éloquence hors du commun. Ce sont deux qualités qui, à elles seules, le posent déjà comme quelqu’un à même d’être étudié et révéré.

Q: Les traditions musicales afro-américaines ont toujours eu un rôle déterminant dans la diffusion de messages politiques. Est-il possible d’estimer quelle est la part de cette influence dans cette élection ?
Q-Tip: Je pense que le rôle du hip-hop est énorme. Depuis plus de 30 ans, le hip-hop est parvenu à fragiliser la carapace derrière laquelle les classes moyennes blanches américaines étaient regroupées en leur permettant de découvrir quel était le mode d’existence des Afro-Amércains. Voir Run DMC pour la première fois à la télévision, écouter Grandmaster Flash, regarder un film dans lequel joue Tupac ou aller à un concert de A Tribe Called Quest, tout cela a participé à rendre la culture afro-américaine toujours plus acceptable. Cela a eu autant d’impact que la philosophie ou les discours de Barack Obama.

Q: En regard de vos différents projets, vous avez par conséquent le sentiment d’avoir contribuer à cette victoire?
Q-Tip: J’ai rencontré beaucoup de personnes blanches qui m’ont avoué avoir commencé à écouter du hip-hop à travers A Tribe Called Quest. Ils pouvaient également entendre les Beastie Boys, Public Enemy ou Run DMC, mais ces groupes véhiculaient des messages plutôt angoissés ou révoltés que tu n’écoutes pas vraiment. C’est une musique pour faire la fête avant tout. Avec A Tribe Called Quest s’était un peu différent, car tu pouvais également l’écouter en conduisant ta voiture, en faisant ta vaisselle, après avoir étudié, etc. Le public blanc appréciait particulièrement, car il s’agissait d’une musique qui pouvait être jouée à tout moment, qui n’était pas réservée uniquement pour des occasions particulières. C’est à ce titre que je pense que nous avons également eu notre part d’influence.

Q: Le fait d’avoir Obama comme président risque d’impliquer passablement de transformations dans le milieu hip-hop. La pertinence de certaines revendications, notamment en regard des questions de race, risque d’être passablement bouleversée ?
Q-Tip: S’il doit y avoir une nouvelle étape dans le hip-hop cela ne renvoie pas nécessairement à Obama ou aux questions de races. Il va bien entendu avoir une grande influence, mais c’est avant tout la manière dont il va gérer sa présidence qui va avoir de l’impact. Nous sommes actuellement en train de vivre une véritable lune de miel dans le monde entier. Le monde entier jubile d’avoir pu éjecter ce Fuckin' Bush qui était tellement mauvais qu’il aura même fallu un Afro-Américain pour le chasser. Même si on peut légitimement trouver que c’est la bonne personne, au bout du compte c’est à travers son mandat et ses actions qu’Obama devra être jugé…

La transmission devient de plus en plus crépitante, et nous devons raccrocher sans connaître la fin de son argumentation. Lorsque la ligne est enfin rétablie, j’entends parfaitement Q-Tip, mais il est pressé et nous avons juste le temps de régler quelques formalités. Concernant l’avenir du hip-hop, il prendra tout de même le soin d’ajouter une remarque élogieuse à propos des Cool Kids:

Q-Tip: Je les aime beaucoup, ils sont brillants,… ils sont le futur du hip-hop.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire