Aujourd'hui, quand on évoque les plus grandes stars de la Motown, on pense plus volontiers à Marvin Gaye ou Michael Jackson. Pourtant, celle qui incarne le mieux l'idéal Motown est sans conteste Diana Ross. Avec l'apparition de Diana Ross et des Supremes, la firme Motown va réellement passer un cap. L'ampleur de leur succès permettra de solidifier les fondations et amènera une notoriété autrement plus forte. L'histoire de Diana Ross et des Supremes est aussi, en creux, celle de la Motown, c'est celle qui résume et permet de comprendre le fonctionnement et les ambitions de Berry Gordy.
Berry Gordy a vite compris que la jeunesse, voire les enfants, étaient un public essentiel, comme en témoigne le slogan The Sound of Young America. Les artistes doivent donc aussi s'adresser à ce public, voire en étant encore enfants eux-mêmes. Steveland Judkins deviendra Little Stevie Wonder à 11 ans. Quelques années plus tard, c'est au tour de Michael Jackson et ses frères d'intégrer le giron Motown. Quant à Diana Ross, Gordy a su exploiter son allure de femme-enfant... Ci-dessous, Berry Gordy se souvient que ce genre d'artiste était parfois difficile à "gérer". Stevie Wonder avait beau être surdoué, il restait un gamin facétieux. Aveugle de naissance, son handicap provoquait parfois des incidents. Il était dans les locaux comme chez lui et circulait librement. Une de ses "gaffes" les plus récurrentes consistait à pénétrer à l'improviste dans le Studio A, y compris quand un enregistrement était en cours, car, bien entendu, il ne pouvait pas voir que la lumière rouge était allumée.
Contrairement à la légende, ce n'est pas Diana Ross qui attira l'œil de Berry Gordy sur la fratrie Jackson mais Gladys Knight, laquelle ne fut pourtant pas écoutée. Quoi qu'il en soit, leur première audition fut suffisamment époustouflante pour être enregistrée, à la va vite. Gordy prétend aujourd'hui avoir lui-même réalisé ce bout d'essai avec sa caméra Super 8.
Egalement très jeunes à leurs débuts, Diane Ross, Florence Ballard et Mary Wilson se retrouvent pour chanter. Toutes les trois viennent de familles pauvres, originaires des cités de Brewster Projects. Elles commencent à chanter ensemble sous le nom de Primettes, le pendant féminin des Primes qui, eux, allaient devenir les Temptations. Encore des gamines, elles traînaient dans les locaux, se faisaient les "mascottes" de la maison Motown, avant d'en devenir les vedettes.
Avec elles, le département Artist Development prend tout son sens. Maxine Powell, professeur de maintien et de bonnes manières, qui dirigeait la Finishing and Modeling School, est embauchée par Gordy. Elle a en charge de sophistiquer ces jeunes femmes, que l'on décrit souvent comme arrogantes, en particulier Diana (souvent qualifiée de snotty).
Maxine Powell les préparait comme si elles devaient se présenter à la Reine d'Angleterre. Elle se souvient que "most of the artists were rude and crude and speaking the street language when I met them. Diana Ross and the Supremes said they were sophisticated when they got to Motown, but that was not true; sophistication takes years, and young people are not sophisticated. The Supremes were acting snooty, especially Diana Ross. I taught her [about] being gracious and classy, because classy will turn the heads of kings and queens. I told them they had to be trained to appear in the No. 1 places around the country and even before the Queen of England and the president of the United States. Those youngsters looked at me and said, That woman is crazy: all I want is a hit record".
Les leçons de maintien de Madame Powell ont bel et bien porté leurs fruits sur les Supremes qui cultivent une distinction toute bourgeoise, ce dont témoigne un des plus grands malentendus de l'histoire de la musique populaire : leur rencontre avec les Beatles. Les "quatre garçons dans le vent" de Liverpool sont de grands fans du son Motown. En 1965, ils rencontrent les Supremes mais le fossé culturel est un gouffre. Les Anglais cultivent l'insolence rebelle du rock'n'roll quand les Supremes se contiennent derrière leur image polissée et la pratique de la langue de bois. Le fait qu'ils soient, paraît-il, sous l'effet de produits psychotropes a évidemment contribué à cette incommunicabilité anthologique, illustrant le paradoxe de la mode, à la fois désir de distinction et de conformisme, paradoxe ici représentée par les groupes en présence.
Au sein de ce trio, Diana Ross sera choisie pour être la figure centrale, la vedette autour de qui tout s'articule. Plus qu'aucune autre artiste, Diana Ross incarne Motown, en tant que structure "produisant" plus qu'un artiste, une créature. De plus, Diana Ross et Berry Gordy ont toujours eu des liens profonds, une complicité au service d'un même but... Leur histoire était aussi amoureuse, même s'ils mirent longtemps à le reconnaître. Berry Gordy restera si proche que, des années plus tard, quand Diana divorça de Robert Silberstein, après six ans de mariage, celui-ci regrettait que Diana "was totally dominated by a man who never read a book in his life".
S'il mit longtemps à admettre leur histoire privée, Berry Gordy n'a jamais fait mystère de sa foi dans le talent de Diana Ross. Comme il en témoignait : "Diana Ross was just as cute as she could be. We gave her a job for the summer, and everybody loved her in the company—she was the sweetheart of Motown. She was just so innocent. She was the personality of the group—the big eyes and all. And she was incredible with her showmanship; she was the magic in the group. (...) It’s very clear why I fell in love with Diana—because she was my star, and she came from the bottom up. With her it was not only fun, it was just like heaven working with her because she would surpass anything… and she always kept her self-esteem. She always told me, “If you think it, I can do it.” And she did". Diana Ross lui accordait toute sa confiance, ce qu'il pensait qu'elle était capable de faire, elle en était effectivement capable.
Il n'y a pas que les Supremes, tous les artistes étaient supposés suivre ces cours trois fois par semaine (certains les séchaient, il faut bien l'admettre)...
Diana Ross & The Supremes - Baby Love
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire