vendredi 20 novembre 2009

La Gordy Family

L'histoire de Motown est aussi celle de Berry Gordy. Cette histoire est l'une des plus marquantes qui soit. Mais si l'on remonte la généalogie de la famille Gordy, l'histoire est là encore passionnante et semble porter les germes de ce qui sera Motown.

L'histoire des Gordy n'est pas ordinaire. On sait qu'aux Etats-Unis, un exode rural massif a poussé les populations noires des états du sud vers les villes industrielles du nord. Ces populations fuyaient la misère. Dans le cas de la famille Gordy, c'est l'inverse... Parce qu'ils devenaient trop riches pour des Noirs dans le sud, ils durent se résoudre à migrer vers Détroit où des opportunités s'offriraient à qui possède l'esprit d'entreprise.

Pour comprendre comment cette famille put connaître la prospérité, il faut remonter encore d'une génération, avec la naissance de Berry Gordy, premier du nom. Celui-ci est le fils de Jim Gordy. Jim Gordy est un Blanc, un propriétaire terrien qui possèdent quelques esclaves. Est-ce en raison de ses valeurs chrétiennes ou d'une sincère affection pour sa partenaire esclave, Esther Johnson, toujours est-il qu'il prit soin de son fils bâtard Berry (1854-1913). Lequel reçut la même éducation qu'un enfant blanc de son âge et apprit donc à lire et écrire.

Berry Gordy, premier du nom, est petit, petit mais cotaud, clair de peau, et possède un caractère bien trempé, du genre têtu... Il épouse Lucy Hellum (métisse noire et indienne), ensemble ils auront 23 enfants dont 9 seulement survivront... Dont un Berry, né le 10/7/1888.

Reconnu par ses voisins, aussi bien Noirs que Blancs, comme un leader, un big dog, Berry I réussit à économiser pour acheter 168 acres à Oconee County (Géorgie), dans les années 1890, quand un siècle plus tard, la majorité des Noirs est toujours constamment endettée auprès des propriétaires blancs. Berry I et sa femme notaient les moindres dépenses et rentrées d'argent... Ainsi, ils ont évité de s'endetter et personne ne pouvait contester ce qui leur était dû.

Berry II suivait son père, s'intéressait aux affaires des adultes, à la différence de ses frères qui filaient jouer dans les champs. Devant son intérêt, son père l'embauche pour, le samedi, l'accompagner vendre les produits de la ferme. Son rôle est de calculer la valeur de la livre de coton. Il l'incite à étudier le droit tandis que les affaires familiales continuent de prospérer. Berry I parviendra à acheter 100 acres de plus, une grande maison, un commerce et un atelier de forgeron. Frappé par la foudre, il meurt en 1913. C'est son fils, Berry II, qui assume spontanément le rôle de chef de famille. Plutôt que de répondre aux sollicitations de ceux qui voulaient devenir "administrateurs" des biens familiaux, et risquer de se les approprier, Berry II et sa mère se firent porter eux-mêmes administrateurs. Il résista aux sollicitations de tout ordre.

Appelé par l'armée, il réussit à se faire réformer très vite : sa loyauté allait à sa famille et ses biens plutôt que la patrie. En 1918, il épouse Bertha Ida Fuller, elle-même issue d'une famille de big dogs. Bertha est maîtresse d'école. Il a 30 ans, elle 19.

Berry II délaisse le coton pour les fruits, légumes, le bétail. Et surtout, en 1922, la vente d'un chargement de bois, coupé sur les terres de la famille rapporta 2600$, une somme astronomique à cette époque pour un Noir en Géorgie. Les lynchages étaient encore fréquents dans ces années, conduits sous la pression du Ku Klux Klan. Plus de 1500 lynchages sont ainsi recensés dans les vingt premières années de ce siècle. Comme l'écrit Nelson George, dans Where Did Our Go ?, "to a white mob given enough moonshine, possession of a check for $2,600 could easily appear to be an act of defiance against white supremacy" (p. 6 : pour une bande de Blancs bien éméchés, être en possession d'un pareil chèque pour un Noir pouvait facilement être interprété comme un acte de défiance à l'égard de la suprématie blanche).

Devant cette menace, Berry décide de monter, à la suite de son frère John, vers le Nord. Comme le note Nelson George, "It is ironic that Berry had been forced to travel to Detroit because he had made too much money; it was the hope of making more money that lured his fellow travelers to that city's burgeoning car-making machine" (p. 7 : il est ironique de constater que Berry a été forcé de voyager jusqu'à Détroit car il avait trop d'argent quand c'était, au contraire, l'espoir de trouver de l'argent dans cette capitale de l'industrie automobile qui incitaient ses compagnons à fuir la misère du Sud).

Ford a été fondé en 1901 et commence à embaucher des Noirs à partir de 1914. Mais c'est seulement à partir de 1920 qu'il devient le premier employeur de travailleurs noirs de l'industrie automobile, à cause des pénuries de main d'œuvre qui sont une des conséquences de la première guerre mondiale.

Pour un Noir, c'était alors la meilleure opportunité professionnelle imaginable. Le Journal of the Negro Race écrivait, en 1947, que "quand les autres fabricants restraignaient les travailleurs noirs à diverses corvées et aux tâches d'entretien, Ford les employait pour du travail qualifié et les mettaient sur les chaînes de montage, au même titre, et en compagnie, de travailleurs blancs" (cf. Nelson George, p. 8)". Trente ans plus tard, ce ne sera plus le cas.

Pourtant, les choses ne sont pas simples pour Berry Gordy II. La fortune que représentait le chèque a été partagé à parts égales entre tous les membres de la famille et la somme qui lui reste est, par conséquent, bien modeste. Qu'importe, il est dur à la tâche, motivé et possède, comme son père, un sacré esprit d'entreprise. Il apprend d'abord le métier de plâtrier, après avoir remarqué que celui-ci payait bien. Quelques années plus tard, il ouvre la Booker T. Washington Grocery Store, et crée une entreprise de plâtrier et de charpentier, ainsi qu'une imprimerie. Le choix du nom est porteur de sens. Booker T. Washington, fondateur de l'Université de Tuskegee et auteur de Up From Slavery, est un militant de l'élévation et de l'intégration du peuple noir aux Etats-Unis. Les valeurs transmises par les parents Gordy à leurs enfants sont les siennes : "sweat and labor, along with education, as the only viable tools for the attainment of equality" (le travail et l'éducation sont les seuls moyens fiables d'atteindre l'égalité).

Le père Berry se consacre à son entreprise, sa femme Bertha étudie (commerce, économie). En 1945, elle est une des trois co-fondatrices de Frienship Mutual Life Insurance Company et milite au Parti Démocrate.

Les deux plus jeunes fils, Robert et Berry, sont moins motivés par le travail manuel que la danse et la musique.
Berry est déjà attiré par la réussite et l'argent mais cherche à fuir un travail aux horaires trop strict. Il se cherche mais quand il trouve une voie, il s'engage à fond, avec détermination et motivation. C'est ainsi qu'il se lance dans une carrière de boxeur, qu'il abandonne vite. Sa passion étant le jazz, contemporain du be-bop, il admire Monk et "Bird". Outre leur musique, il apprécie leur style, leur parler. Il s'imaginait plus hip et cool qu'il ne l'était vraiment (après tout, il vient d'un milieu où l'éthique est celle du travail, ce qui doit laisser des traces).

En 1953, il ouvre la 3-D Record Mart, un magasin de disques. Pour Berry Gordy, le jazz est de l'art. Mais il peine à vendre suffisamment et doit mettre la clé sous la porte deux ans plus tard. Il se retrouve alors dans l'embarras. Sans emploi ni diplôme, déjà père de famille... Il sera donc contraint de faire ce qu'il a toujours évité : intégrer un poste d'ouvrier dans une usine de la marque Lincoln.

Il entend très vite se consacrer à sa nouvelle passion : l'écriture de chansons. Il profite de ses sœurs Anna et Gwen. Celles-ci sont très intéressés par la musique et fréquentent les musiciens. Ces derniers sont attirés par la séduction des filles Gordy, qui en profitent pour leur présenter leur jeune frère, en disant qu'il est songwriter...

Malgré quelques tubes, comme le "Reet Petite", interprété par Jackie Wilson, Gordy comprend que l'auteur ne touche pas grand chose lors du succès d'un disque mais que les maisons de disques empochent la majeure partie des bénéfices. Il voit sa sœur Gwen et son compagnon, Billy Davis, montrer l'exemple en fondant le label Anna Records. Dont le premier succès, "Money, (That's What I Want) est interprété par Barrett Strong et composé par... Berry.

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